samedi 25 avril 2015

Interview de Diego Trelles Paz

Diego Trelles Paz - © Alessandro Pucci

A l'occasion de la sortie aux éditions Buchet Chastel de Bioy, son premier roman traduit en français, j'ai l'immense plaisir de recevoir M. Diego Trelles Paz.
 
Bonjour Diego. Je vous remercie d'avoir accepté cette petite interview. En quelques mots, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?
 
Je voulais tout d’abord vous remercier pour cette interview et de me donner l’opportunité de me présenter. Je suis péruvien, de Lima, mais j’ai vécu une grande partie de ma vie loin de mon pays. Depuis un an et demi, j’habite à Paris. Je suis docteur en littérature. J'ai fini mes études à l’Université d’Austin au Texas en présentant une thèse sur le roman policier latino-américain alternatif (ou hétérodoxe) où j’aborde les œuvres d’auteurs qui ne sont pas considérés comme des écrivains strictement policiers tels que Puig, Borges, Leñero, Ibargüengoitia, Piglia et Bolaño. J’essaye d’être cinéphile. J’ai beaucoup d’un mélomane. J’ai fait mes débuts dans l’écriture en faisant des critiques sur des groupes de rock pour un magazine péruvien de musique alternative qui s’appelait Caleta. J’ai publié trois romans : Hudson el redentor (2001), El círculo de los escritores asesinos (2005) et Bioy (2012). Je suis l’éditeur de El futuro no es nuestro, une anthologie de contes de narrateurs latino-américains de ma génération. Cette dernière a été traduite en anglais et hongrois. J’aime le foot. Mon prochain livre, Adormecer a los felices, est un recueil de contes, et sera publié cette année en Espagne et en Amérique Latine. Il a une épigraphe de Louis-Ferdinand Céline.
 
 
Parlons de Bioy, votre premier roman publié en France. Comment est née cette histoire ?
 
La première idée vint du cinéma, et surtout de The Bad Lieutenant un film d’Abel Ferrara. Harvey Keitel interprète dans ce film un flic de New York qui devient un délinquant. Werner Herzog est aussi un de mes cinéastes favoris, il en fit une version différente avec Nicolas Cage. Ces deux films sont formidables à leur façon. Avec Bioy j’ai essayé de m’approcher du sujet de la déchéance physique et morale des personnes au milieu d’un scénario ravagé par la violence et la corruption politique. Une violence qui se répand dans le Pérou au travers de la guerre civile, la dictature et le trafic de drogues depuis les années 80 à nos jours. Le protagoniste, Bioy Cáceres, est un militaire qui devient délinquant. C’est le point de départ d’une histoire très complexe et qui englobe plus de 30 années d’une histoire des plus dures de mon pays.
 
 
L'extrême violence du récit est parfois atténuée, parfois exacerbée, par vos différents changements de style : point de vue cinématographique, pages de blog, journal intime, polyphonie, ellipses temporelles, etc. Une mise en garde, qui apparait comme un défi au lecteur, est même insérée au début du roman : « Vous devez interrompre votre lecture. Changez de livre. Changez d'auteur. ». Pourquoi un tel choix, une telle déconstruction narrative ?
 
La complexité de la narration répond au monde représenté : un pays qui se dégrade submergé dans les limbes et où la mort guette quotidiennement. Quand je me trouvais en plein processus d’écriture de Bioy, je me suis aperçu que la seule façon de raconter cette violence, particulièrement horrible, était de violenter les mots, la structure, le temps narratif. Jamais je n’ai cherché à être sympa avec le lecteur. Ca ne m’intéresse pas de maquiller une réalité qui est arrivée à être tellement atroce qu’il est difficile de la décrire, de la raconter. Cependant, je ne pense pas que Bioy soit un roman qui utilise la violence pour ébranler le lecteur. L’effet vide de sens n’a pas d’intérêt pour moi. Lire Bioy peut produire un effet cathartique. Ce roman a tous les composants des bonnes histoires. Ou plutôt, c’est comme cela que je l’ai conçu. 
 
 
La vision du Pérou qui ressort de cette lecture est très noire, désabusée. On sent bien qu'après trente ans de guerre civile et de dictature les blessures sont encore vives… 
 
Et elles le sont, vives ! Le processus de réconciliation est lent, et notre démocratie est encore beaucoup trop fragile pour penser que nous n’allons plus voir quelque chose de semblable surgir à nouveau. Au Pérou nous n’avons pas encore une structure assez forte pour repousser le fantôme de la dictature. Actuellement, la fille de l’ex dictateur Alberto Fujimori est en tête des sondages pour les prochaines élections présidentielles. Et son père est incarcéré. Les mêmes tares sociales sont encore vivantes et en vigueur : racisme, pauvreté, corruption, homophobie, exclusion et, surtout, l’inégalité. Il est vrai qu’il est assez difficile que toute cette horreur se répète maintenant, mais nous devons rester attentifs. La lutte est constante.
 
 
Les références littéraires sont nombreuses dans votre roman, à commencer par le patronyme de l'un des principaux personnages, Bioy Cáceres. Cette référence à l'écrivain argentin est-elle un hommage déguisé ? Quelles sont vos influences littéraires ?
 
Effectivement, c’est un petit hommage à Adolfo Bioy Casares. C’est un clin d’œil aux contes policiers écrit par Bioy Casares et Borges sous le pseudonyme de Bustos Domecq. Il y a des personnes qui pensent que mon roman est une autobiographie de Bioy Casares, et ca n’a rien à voir. Mais j’aime beaucoup le petit jeu intertextuel. Mes influences littéraires pour ce roman, vous pouvez les suivre à travers les épigraphes et citations : Cormac McCarthy, Louis-Ferdinand Céline, Roberto Bolaño, Ricardo Piglia, William Faulkner. Bien sûr qu’il y a d’autres écrivains que j’ai lu de manière presque maladive : Juan Rulfo, Juan Carlos Onetti, Manuel Puig, Jorge Luis Borges, Mario Vargas Llosa. J’ai une formation plus classique. Je reviens toujours à Miguel de Cervantes. 
 
 
Pourriez-vous nous parler de vos projets actuels ?
 
Un de mes projets les plus actuels est mon recueil de contes Adormecer a los felices qui sera publié en juillet au Pérou, en septembre en Espagne et dans le reste des pays d’Amérique Latine. Je ne sais pas encore si on va le traduire en français. Mon autre actualité est mon prochain roman : la raison pour laquelle je vis et j’écris en France. Je n’ai pas l’habitude de parler sur ce que j’écris mais je peux vous dire que ça sera un roman sur l’amitié, tout mon monde de fiction est présent, et la partie finale se déroule dans un Paris sauvage vu à travers les yeux d’un latino américain désespéré.
 
 
Voilà un programme des plus alléchants ! En attendant d'avoir le plaisir de vous lire à nouveau j'invite tous nos lecteurs à découvrir Bioy, un roman remarquable qui ne laisse personne indifférent.


BIBLIOGRAPHIE (FRANCAISE) :

Auteur : Diego Trelles Paz
Traducteur : Julien Berrée
Titre : Bioy
Editeur / Collection : Buchet Chastel / Littérature étrangère
Nombre de pages : 352
Date de parution : Mars 2015
 
Quatrième de couverture :
 
Lima, années 80. Alors que l’Etat et la guérilla du Sentier Lumineux se livrent une guerre sans merci, Elsa, une jeune militante communiste, est soumise aux viols et à la torture des militaires. Parmi eux, Bioy, jeune caporal tétanisé par ce déchaînement de violence.
Lima, années 2000. Bioy est désormais à la tête d’un des gangs les plus violents de la ville, au service des cartels de la drogue et du crime organisé. Ses anciens collègues de l’armée sont en prison ou en fuite aux Etats-Unis.
Vingt ans se sont écoulés qui ont plongé le Pérou dans l’abîme, et c’est le récit de cette chute que ce roman nous livre à travers les destins croisés de Bioy, d’Elsa, d’un flic infiltré et d’un étrange garçon assoiffé de vengeance.
Intrigue tentaculaire, récit à la chronologie chaotique qui mêle le passé au présent et emprunte à des formes aussi diverses que l’écriture cinématographique ou le blog, Bioy forme un puzzle romanesque qui déploie toutes les facettes de la violence, de l’horreur et la déchéance humaine et tente sans relâche de répondre à cette question : l’idée même de rédemption a-t-elle encore un sens ?
En plaçant la violence et la question de la banalisation du mal au cœur de son livre, Trelles Paz s’affirme comme l’une des voix latino-américaine les plus prometteuses du roman noir.
 
Avis : ICI



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