Fiche technique :
Auteur : Yasmina Khadra
Titre : La dernière nuit du Raïs
Editeur : Julliard
Nombre de pages : 216
Date de parution : Août 215
Quatrième de couverture :
« Longtemps j'ai cru incarner une nation et mettre les puissants de ce monde à genoux. J'étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd'hui, je n'ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence.
Lequel, du visionnaire tyrannique ou du Bédouin indomptable, l'Histoire retiendra-t-elle ? Pour moi, la question ne se pose même pas puisque l'on n'est que ce que les autres voudraient que l'on soit. »
Avec cette plongée vertigineuse dans la tête d'un tyran sanguinaire et mégalomane, Yasmina Khadra dresse le portrait universel de tous les dictateurs déchus et dévoile les ressorts les plus secrets de la barbarie humaine.
Avis :
« Ce que je dis est parole d’Evangile, ce que je pense est présage. Qui ne m’écoute pas est sourd, qui doute de moi est damné. Ma colère est une thérapie pour celui qui la subit, mon silence est une ascèse pour celui qui le médite. Je suis Mouammar Kadhafi… »
Je ne connaissais que peu de choses concernant Mouammar Kadhafi. Longtemps présenté comme le croquemitaine de l'Occident, dirigeant d'une main de fer un pays sous embargo, il était surtout célèbre pour ses harangues tonitruantes, ses méthodes expéditives et sa garde rapprochée d'amazones. Grâce au magnifique roman de Yasmina Khadra, j'ai découvert l'homme derrière le personnage.
Le temps d'une nuit, du 19 au 20 octobre 2011, sa dernière sur terre, Mouammar Kadhafi nous livre ses pensées et ses souvenirs, nous faisant découvrir le parcours d'un homme et l'histoire d'un pays. De son enfance pauvre de Bédouin au coup d'Etat qui l'a porté au pouvoir, c'est une vie de non-dits et de rancœurs qui est à l'origine de son ascension fulgurante. Et ce sont d'autres non-dits qui le mèneront à sa perte, personne dans son entourage n'osant lui dévoiler la dure réalité d'une situation devenue intenable. Aux prises avec une révolution populaire gangrénée par la barbarie islamiste, le Frère Guide perdra tout, jusqu'à sa vie, sans pour autant se renier.
Le style de Yasmina Khadra est, une fois de plus, captivant. Le ton est juste, réaliste, on pourrait vraiment penser lire les mémoires de Khadafi que l'on imagine sans peine gesticuler, déversant sa haine et sa colère sur le monde. L'écriture est riche et imagée, parfois poétique. La tension monte petit à petit, au fur et à mesure que s'écoule la nuit, pour aboutir au final haletant et inoubliable.
Du grand art, que j'ai dévoré d'une traite !
Et voici, pour les matchs de la rentrée littéraire PriceMinister, l'interview (très très) imaginaire de Mouammar Kadhafi. Les questions sont © Andrée la papivore, reporter de l'extrême (^_^') et les réponses sont des citations extraites de La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra.
Bonjour M. Kadhafi. On vous présente souvent comme un dictateur mégalomane. Qu'avez-vous à répondre à cela ?
« Je ne suis pas un dictateur.
Je suis le vigile implacable ; la louve protégeant ses petits, les crocs plus grands que la gueule ; le tigre indomptable et jaloux qui urine sur les conventions internationales pour marquer son territoire. Je ne sais pas courber l'échine ou regarder par terre lorsqu'on me prend de haut. Je marche le nez en l'air, ma pleine lune en guise d'auréole, et je foule aux pieds les maîtres du monde et leurs vassaux.
On raconte que je suis mégalomane.
C'est faux.
Je suis un être d'exception, la providence incarnée que les dieux envient et qui a su faire de sa cause une religion. »
Vous êtes le frère Guide. Quelle vision de la vie pouvez-vous nous transmettre ?
« La vie est tellement complexe. Et tellement incongrue. Il y a à peine quelques mois, toute honte bue, l'Occident tapissait mon chemin de velours, m'accueillait avec les honneurs, brodait des lauriers sur mes épaulettes de colonel. On m'a autorisé à dresser ma tente sur la pelouse de Paris en pardonnant ma muflerie et en fermant les yeux sur mes « monstruosités ». Et aujourd'hui, on me traque sur mon propre fief comme un vulgaire gibier de potence évadé du pénitencier. Étranges, les volte-face du temps. Un jour vous êtes idolâtré, un autre vous êtes vomi ; un jour, vous êtes le prédateur, un autre vous êtes la proie. »
Au printemps 2011, la situation dans certains pays arabes est devenue explosive. Était-ce prévisible ? En aviez-vous parlé avec vos collègues chefs d'Etat ?
« J'avais beau mettre en garde les souverains arabes, ces fêtards empiffrés n'écoutaient que les minauderies de leurs obligés. Ils étaient au complet au Caire, en rang d'oignons, se surveillant en catimini, les uns arrogants sous leur couronne de patriarche constipé, les autres trop obtus pour avoir l'air sérieux. Des nouveaux débarqués qui se croyaient déjà arrivés, présidents d'opérette incapables de se débarrasser de leur instinct de bouseux, émirs pétrodollars tout droit sortis du chapeau d'un prestidigitateur, sultans empaquetés dans leur robe de fantôme, littéralement dégoûtés par les péroraisons que ressassaient à l'envi les tribuns. Pourquoi étaient-ils là ? Ils se fichaient copieusement de ce qui ne concernait pas leurs coffres forts. Occupés à se remplir les poches, ils ne se rendaient compte ni du monde qui mutait à une vitesse vertigineuse ni des lendemains chargés d'orages en train de s'enfieller à l'horizon. Le malheur de leurs sujets, le désespoir de la jeunesse, la clochardisation de leurs peuples, c'était le cadet de leurs soucis. Persuadés d'être à l'abri des mauvaises passes, ils géraient, comme on dit. Et puis, ils n'avaient rien à craindre puisqu'ils ne faisaient pas de vagues ni les durs à cuire. »
Comment imaginez-vous l'avenir de votre cher pays ?
« La Libye me doit tout. Si elle part en fumée aujourd'hui, c'est parce qu'elle est indigne de ma bonté. Pars donc en fumée, maudite patrie. Ton ventre est infécond, aucun phénix ne naîtrait de tes braises mourantes.
Pour qu'une forêt se régénère, elle doit brûler, nigaude-t-on.
Foutaises !
Il est des forêts qui ne survivent pas à leur sinistre. Elles s'immolent comme les illuminés, et plus jamais herbe ne pousse sur leurs cendres. »
Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps si précieux.
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